Notre Dame – Sacrée par le feu, profanée par les Hommes

Photo : Notre-Dame de Paris maquette sans échelle 20x20x20 cm. Auteurs Armel Joly et Arnaud Gillet

L’actualité du 15 avril dernier a été l’occasion de remettre en perspective cet évènement tragique avec notre diplôme d’architecte, réalisé en 2014 avec mon binôme Arnaud Gillet.

À cette époque, nous avions eu l’impudente ambition de chercher à définir la notion de Sacré en Architecture. Vaste programme… Nous introduisions alors notre recherche par ces mots  :

«  Au départ, une intuition : un espace sacré semble être caractérisé par l’idée de frontière, de passage. Etymologiquement, ce qui est mis à part, ce qui est coupé du reste, 
ce qui est mis de côté. Un changement d’attitude, une introspection qui nous invite à « regarder à l’intérieur ». L’intérieur de nous-même, mais aussi l’intérieur de cet espace dans lequel nous pénétrons ».

Au travers de 14 maquettes représentatives d’architectures existantes (La grande Mosquée de Cordoue, le Panthéon de Rome, les Pyramides, et même la Surface de la Lune (!), nous cherchions pour chacune d’entre elles à isoler « l’essence sacrée » même du lieu.

Vous l’aurez deviné, Notre Dame faisait partie du lot.

Mais hélas, malgré toutes ces réalisations l’exploration de notre intuition première ne nous a transporté vers aucune certitude. Le sacré semble hésiter, entre le plein et le vide, entre le gigantisme et l’intime, entre l’ombre et la lumière… Comme si celui-ci, par définition, échappait à sa propre définition.

Vraisemblablement, c’est (ou c’était !) le cas de Notre Dame. Son embrasement ayant révélé à tous les Français sa sacralité universelle. De la même façon que celle-ci était unique, elle nous a redonné l’espace de quelques instants un sentiment d’unité nationale à la française : invincible, indivisible… et donc sacré.

Mais pour bien comprendre ce propos, qu’est ce qui défini la « part  sacré » de Notre Dame :

Une destination cultuelle ? Un temps de construction titanesque sur deux siècles  ? Un symbole visible identifiable dans tout Paris  ? Un lieu de départ de toutes les routes de France  ? Une architecture exceptionnelle ? Une charpente et une flèche unique  ? Une perspective intérieure ininterrompue du narthex jusqu’au déambulatoire ?

Ou, tout cela en même temps et bien plus encore.

Transformée par Robespierre en un temple de l’être suprême ; dépôt de munitions menacée de démolition ; puis sauvée sur les instances de Victor Hugo ; lorsque Viollet-le-duc vient restaurer Notre-Dame, d’une certaine façon il réinjecte du sacré, lui redonne de l’énergie en y ré-introduisant des éléments témoignant des mutations de l’édifice ou en y incorporant ses propres interprétations allant bien au delà de l’hypothèse… (cf Charte de Venise 1964).

Mais depuis ce drame, nous voilà tous commentateurs et experts de la reconstruction envisagée  :  » Nous allons reconstruire en 5 ans ce qui a été bâti en deux siècles  grâce au progrès  ! […] La solution technique est déjà toute trouvée  : nous allons réaliser une nouvelle charpente et une couverture en titane indestructible  (cf Jean-Michel Wilmotte) ! […] Il faut reconstruire à l’identique, le contraire serait blasphématoire ! « 

Chacun s’approprie le chef d’œuvre et le rend ainsi accessible.

Mais ce qui est accessible, n’est plus sacré… Devant toutes ces polémiques, Notre Dame vient d’être à nouveau profanée… Non pas par l’incendie destructeur, mais par le clivage qu’elle va dès à présent provoquer.

Elle sera désormais meurtrie de tous les adjectifs de la désacralisation : la dérision, le dédain, le détachement, la concession, l’impavidité, la possibilité, la fantaisie, l’évidence… et pire… la certitude…

Devant la diversité des formes et variétés des solutions adoptées, en architecture, comme dans le paysage, c’est le regard que l’Homme jette sur l’espace qui le transfigure et le rend sacré. Ainsi, lorsque morphologie et aspirations spirituelles s’équilibrent dans une admirable adéquation, le sacré déploie toute sa dimension universelle.

Quoi qu’il en soit, si nous désirons re-sacraliser Notre Dame, nous devons l’envisager de façon à ce qu’une nouvelle architecture soit ré-investie d’une charge de foi universelle et décryptable par tous. Ce phénomène donnera ainsi libre cours à l’imagination des architectes, pourvu qu’ils puissent persuader leurs contemporains qu’il ont mis dans la masse de leur travail non pas seulement du béton (vade retro !), mais aussi ce cœur et cette foi universelle.

Le risque étant que Notre Dame se retrouve à nouveau violée par le Duc…

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Auteur : Armel Joly – Architecte DESA HMONP