La flèche de Viollet-le-Duc ne sera pas reconstruite à l’identique

Photo : Notre-Dame de Paris avant la Flèche de Viollet-le-Duc. Photographie de Charles Lansiaux (1855-1939). Paris, musée Carnavalet.

Préambule : Aux oubliettes ici toutes les questions de technique, structure, descente de charges, stéréotomie ou  fragilité globale de l’édifice après incendie, qui interviendront comme nouvelles contraintes affectant toute mise en oeuvre. Sur ces sujets, laissons faire les sachants et questionnons d’abord le fond prévalant à toute hypothèse de forme. 

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Dès le lendemain du drame que nous avons connu le 15 avril dernier, est apparue sur la toile une multitude de pétitions adressée au gouvernement, (ici, ou ici) demandant une réfection à l’identique de la flèche de Notre Dame réalisée par Viollet-le-Duc. Didier Rykner dans son pamphlet « Emmanuel Macron : une décision, une ânerie, » s’impose en meneur et cristallise les réclamations.  Pour motiver cet appel de cœur louable et respectable, plusieurs arguments sont invoqués :  

  • Reconstruire autrement qu’à l’identique serait une insulte pour son auteur mais aussi pour tous les Français (sic)
  • Les architectes et bâtisseurs de notre époque ont à leur disposition tous les plans, coupes et élévations permettant une réalisation à l’identique de l’ouvrage
  • Confier ce projet à un « starchitecte » en manque de  » buzz ou de notoriété » (sic) serait blasphématoire
  • Une autre alternative d’une reconstruction à l’identique serait un affront à l’Histoire (sic)
  • La France a ratifié un ensemble de chartes qui ne peuvent aller à l’encontre d’une reconstruction à l’identique

Malgré ces revendications, la flèche de Viollet-le-Duc et par extension la charpente et la couverture de Notre-Dame ne pourront pas être reconstruites à l’identique. Ce postulat que j’admets tout à fait “putaclic” n’est pourtant pas un axiome personnel. 

En effet, les architectes, afin de répondre aux exigences de transmission d’un héritage bâti, s’appuient sur des pensées et théories élaborées au XIXeme siècle. Ce n’est qu’à partir de cette période que l’on voit se manifester les premiers signes d’une conscience archéologique critique vis-à-vis des monuments anciens. Au XXeme siècle, ces théories seront compilées et finalisées au travers de 3 chartes : La charte d’Athènes 1931, la charte de Venise – 1964 et la charte de Cracovie – 2000. 

De nos jours, ces écrits définissent les stratégies d’intervention sur le bâti ancien, enseignées notamment à l’École de Chaillot qui prépare les futurs architectes du patrimoine, architectes des bâtiments de France et architectes en chef des monuments historiques aux pratiques de restauration et conservation. 

Mais alors que notre société contemporaine porte parfois un regard ultra-patrimonial, ultra conservateur et ultra-protecteur vis à vis du fait ancien, les stratégies d’intervention ne peuvent être déconnectées d’une notion de bon sens justement restituée dans les chartes énoncées plus haut. Du reste, une fois décortiquées, celles-ci ne garantissent pas une reconstruction à l’identique.

Pour les raisons suivantes :

  • Art. 9 Charte de Venise : « Un projet de restauration doit garder un caractère exceptionnel, motivé par le respect de la substance ancienne et de documents authentiques. Il s’arrête là ou commence l’hypothèse. » // Article fondamental invoqué par Didier Rykner qui suppose une confusion potentielle entre restauration (action de réparer en respectant l’état primitif) et reconstruction. Car peut on réparer ce qui n’existe plus ?
  • Art. 12 Charte de Venise : « Les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire.  »  // Étant apparemment en possession de tous les documents, plans, coupes, élévations, croquis, détails, permettant une reconstruction de la flèche de Viollet-le-Duc, celle-ci risque cependant d’être inévitablement assimilée à une falsification ou pire, à un pastiche dès la moindre modification opérée. Pastiche : imitation reprenant plus ou moins le contenu original d’une œuvre

Néanmoins, la Charte de Venise n’encadre précisément pas les problématiques de reconstruction après sinistre. Il faut attendre la Charte de Cracovie – 2000 pour apprécier des orientations à ce sujet. De la même façon, celles-ci peuvent être sujettes à interprétation :

  • Art. 4 Charte de Cracovie : « La reconstruction de parties entières « dans le style du bâtiment » doit être évitée. La reconstruction de très petites pièces ayant une signification architecturale peut être acceptable en tant qu’exception à condition qu’elle repose sur une documentation précise et incontestable. » // Au delà de l’irréfutabilité des documents qui interroge, la flèche incendiée peut-elle être considérée comme une très petite pièce de Notre Dame ?
  • Art. 4 Charte de Cracovie suite : « La reconstruction d’un immeuble entier, détruit par un conflit armé ou un désastre naturel, n’est acceptable que s’il y a des motifs sociaux et culturels exceptionnels en rapport avec l’identité de la communauté tout entière. » // Est-ce le cas pour la flèche de Notre-Dame ?
  • Art. 15 Charte de Cracovie : « Tout travail de reconstruction devra cependant être exclu à priori, seule l’anastylose peut être envisagée, c’est-à-dire la recomposition des parties existantes mais démembrées (Ruines). » // En d’autres termes, seule la reconstruction à partir d’éléments d’origine peut être envisagée. Dans le cas de Notre-Dame, ces éléments ayant disparu dans les flammes, ils ne pourront être recomposés.

Fort de ce décorticage, la conclusion n’est donc pas si évidente et ne peut être tranchée aussi radicalement que certains le souhaiteraient.

En tout état de cause, c’est avec nettement moins de scrupules que Viollet-le-Duc intervient sur Notre Dame, Saint Sernin de Toulouse ou sur le Château de Pierrefonds. À vrai dire, il s’oppose vraisemblablement aux théories contemporaines décrites plus haut, transcendant l’hypothèse pour raconter sa propre histoire : « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. »

D’un autre côté, bien que nos prédécesseurs se soient parfois livrés à des travaux de « dé-restauration » d’éléments ajoutés par l’auteur (cas de Saint Sernin), il est aujourd’hui compliqué de remettre en question la qualité patrimoniale de ses interventions.  

Alors la flèche de Viollet-le-Duc connaîtra-t-elle une seconde mort ? D’une certaine façon, il sera vraisemblablement nécessaire que non seulement la flèche, mais aussi la voûte, la charpente et la couverture puissent être abordées dans une seule et même nouvelle approche architecturale. 

La réflexion est donc en cours et qu’importe les conclusions définitives, cet évènement est l’occasion d‘interroger toujours un peu plus notre pratique face aux enjeux de restauration/conservation de notre héritage bâti.  

Auteur : Armel Joly – Architecte DESA HMONP

Biblio :

*Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, Eugène Viollet-le-Duc, éd. Bance et Morel, 1854 à 1868, t. 8, chap. Restauration, p. 14